« On sait que tout est mort quand la colère meurt. Quand la révolte meurt. On sait qu’il n’y a plus rien à faire quand on ne réagit plus, quand il n’y a plus de rage, quand la révolte dépose les armes au pied de la résignation. »
Dima Abdallah

Les comptes-rendus-avis de lecture de la librairie Vaux Livres

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Romans traduits par Julien Lapeyre de Cabanes

Ahmet ALTAN

Les dés
Actes Sud

2 | 208 pages | 23-10-2023 | 21.8€

Zya, seize ans en 1900, avait une idole : son frère. Alors quand celui-ci est assassiné, il le vengera et tuera l’assassin de son frère puis sera condamné à perpétuité. Sans émotion ni regret. Il a été éduqué, dressé, avec au premier plan, l’honneur et le clan. Des règles de vie strictes, sans émotions (« Un homme ne pleure pas. »), sans sentiments (« Les sentiments lui apparaissaient comme une maladie, les oublier lui semblaient une guérison. »). L’honneur du clan passe avant la vie alors tuer n’est pas un problème, un obstacle : « Etre un homme déterminerait toute son existence. Trois ans plus tard, l’expression fut complétée : Un homme d’honneur… ». Cela passera aussi par un mépris de la vie et des hommes en général. Condamné à perpétuité, il devient une sorte de légende, de caïd dans la prison et à l’extérieur. Son regard dur, froid, féroce renforce son personnage. Il découvre en prison le jeu avec les dés : le hasard et le doute, ne pas les redouter mais les affronter, quitte à mourir, jouer sa vie pour l’honneur. Son clan le fait sortir de prison et exiler en Egypte où il rencontre pour la première fois peut-être une forme d’humanité apaisée : Nora, une jeune femme juive, avec qui il noue un lien particulier, fait de silence, de complicité malgré leurs différences, de douceur et de sérénité, loin de toute violence. Mais Nora repart vers Paris et lui rejoint Istanbul retrouvant son frère qui n’avait pas choisi de venger leur frère… Il rencontre une femme veuve et riche fascinée par son meurtre et son regard. Le luxe, l’argent l’émerveillent. Mais à nouveau, la mort le rattrape puisqu’on lui propose un contrat pour tuer le Vizir, point final d’une existence où « Il apprit à mourir en vivant. » Un roman éprouvant (mais certainement pour une part au cœur d’une problématique qui ébranle nos sociétés) où les sentiments et la vie s’effacent devant l’honneur, le clan et la mort.

Ecouter la lecture de la première page de "Les dés"

Fiche #3105
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction : Julien Lapeyre de Cabanes


Asli ERDOGAN

L'homme coquillage
Actes Sud

1 | 195 pages | 13-05-2018 | 19.9€

« L’homme coquillage » est narré par une femme turque : « Je suis née et j’ai grandi en Turquie, moi ! » et ce n’est pas anodin ! Elle est physicienne et partie en Suisse pour poursuivre ses recherches. C’est lors d’un voyage pour un séminaire avec ses collègues à la Caraïbe qu’elle rencontre Tony, pêcheur de coquillages, qu’elle nommera L’homme coquillage. Première femme blanche à lui adresser la parole, elle décidera d’aller vers cet inconnu au physique singulier (« Mais ce n’est pas juste en regardant la couverture d’un livre qu’on peut savoir ce qu’il contient. »), rejoindre l’inconnu qui deviendra son mythe. Elle n’est guère heureuse dans son monde qu’elle décrit sans concession alors, solitaire, elle préfère, malgré le danger, rencontrer un autre monde, un autre regard, plus libre, plus ouvert, « l’homme coquillage qui m’a appris le chant de l’océan, Tony l’Homme Coquillage que j’ai aimé d’un amour profond, féroce et irréel ». Tony est particulier, à double facettes, comme chaque homme, bienveillant ou malveillant, sorcier ou magicien, « habile aux caresses autant qu’aux coups. Tony était comme ces enfants siamois dont le corps unique est coiffé de deux visages contraires. Le premier était dur et intrépide comme celui d’un corsaire aux larges balafres, le second, sensible et doux, celui d’un saint miséricordieux. ». Le lieu est aussi particulier, scindé en deux, les blancs et les autres, un « ghetto situé à même pas deux cents mètres des hôtels quatre étoiles » dans lequel « s’appliquait la loi universelle de tous les ghettos du monde ; la loi de la faim, de l’exclusion, du désespoir, de la violence. ». Enfin, elle est également particulière, son histoire personnelle et intime douloureuse l’a marquée à jamais, « Ne pas savoir oublier. Implacable vengeance de la mémoire. » Le récit intime courageux et sans concession d’un voyage fondateur aux frontières de l’amour et de la mort. Le premier roman d’Asli Erdogan enfin disponible en France qui livrait déjà quelques indices évidents de son regard sur la souffrance, son amour de la liberté et sa résistance absolue à toute oppression.

Premier roman

« Sous les tropiques, sur cette île éloignée de tout, j’ai appris que l’enfer et le paradis ne font qu’un, que seul un assassin peut être prophète, et qu’un homme, comme dans les séances de magie noire, peut en devenir un autre, car le contraire absolu de l’homme, c’est encore lui-même. »

« Son esprit n’était pas induit en confusion par des concepts tels que la psychanalyse, la névrose, l’existentialisme, et il savait ressentir cette chose à vrai dire élémentaire qu’est la douleur de l’autre. Il savait être triste pour l’autre. Il y avait en lui une sensibilité sans équivalent dans le monde hypocrite des gens trop instruits. »

« Car selon moi, écrire ne vient à l’idée que de ceux qui souffrent de ce mal que j’appelle ''la constipation de vivre''. »

Ecouter la lecture de la première page de "L'homme coquillage"

Fiche #2153
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction : Julien Lapeyre de Cabanes